L’art des plantes
Essayer de comprendre le fonctionnement des plantes est un véritable cheminement qui ne se réduit pas à de la simple analyse. Cela fait appel aussi au sensible. C’est probablement le mariage entre ces deux attitudes que sont esprit analytique et esprit sensible qui permet de mieux communiquer avec le vivant.
Puisque j’ai nommé cet espace « Art des plantes », on va essayer ensemble de découvrir en quoi une plante ou son utilisation dans le soin peut relever de l’art.
Pour cela, on aura besoin d’un petit retour en arrière, ou en tout cas d’un bref résumé de l’histoire des plantes médicinales.
L’homme se soigne avec les plantes depuis des millénaires, et ce dès la préhistoire. Cela se faisait de façon empirique, et il fallait que ça fonctionne…en ces temps incertains.
On peut penser que les soins par les plantes sont la plus vieille thérapie qui existe sur cette planète.
Au fil du temps, avec l’organisation en tribu et l’apparition des guérisseurs, le savoir des plantes s’est transmis de façon orale. Puis, certaines civilisations émergentes ont commencé à répertorier, classer les plantes médicinales, afin de pouvoir transmettre leur vertus aux générations suivantes de façon plus large et pérenne.
Ces peuples ont bâti peu à peu ce qu’on appelle une matière médicale , « materia medica », c’est-à-dire une liste de plantes avec leurs propriétés, un premier guide d’utilisation.
A cette époque, l’homme a encore une approche très « sensible ». Ce qui n’empêche pas le pragmatisme, bien au contraire. On parle déjà de propriétés, d’effets palpables, observables, mais en amont, les plantes sont appréhendées selon leur « qualités ».
Que ce soit dans l’ancienne chine, en Médecine traditionnelle chinoise, en Inde avec l’Ayurveda, dans la Grèce Antique, on attribue des qualités aux plantes : « température », saveur… Tout ceci a été formalisé dans ces civilisations (on peut penser que des traditions orales dans d’autres continents on eu cette approche). Ainsi, une plante peut être chaude, fraîche, tiède… sèche ou humide, ou bien amère, piquante, acide etc.
On parle d’approche « énergétique » des plantes.
En soin, ce système basé sur l’observation et la connaissance du patient et de la plante, demande une grande qualité de présence. Il fait appel à la mémoire, à cette fameuse matière médicale, et aux sens bien évidemment.
Les guérisseurs ont observés qu’une plante selon sa nature, pourra agir pour contrebalancer un déséquilibre chez le malade. En effet, quelle mauvaise idée de proposer une plante qui réchauffe en pleine canicule et encore plus chez une personne qui a tendance à surchauffer du ciboulot ! Pas de gingembre alors, plutôt de la menthe !
L’histoire serait bien trop longue à raconter, et je m’excuse par avance auprès des connaisseurs pour mes raccourcis. Cependant, on peut assez clairement identifier deux sources de savoir: les écrits et le savoir du peuple.
Bien sur, ces savoirs se croisent et se nourrissent. On sait qu’une partie des sagesses Celtiques et Gauloises, leurs manières d’utiliser les plantes médicinales, vont au final se retrouver dans les écrits romains, qui eux-mêmes vont marquer la pratique de la médecine, pour les siècles qui suivront en Europe.
En occident, un excès de classification des plantes va finalement donner un système trop rigide. L’approche de Galien ( un fameux médecin Romain du IIème siècle qui va baser sa pratique sur le modèle Hippocratique qui inclus les 4 éléments – l’air, l’eau, le feu et la terre, et les 4 humeurs – cholérique, flegmatique, sanguin et mélancolique.) est bien trop formalisé. Et, si son modèle va devenir le référent, il ne va plus évoluer durant de longs siècles, et ce, pour des raisons géopolitiques. Trop figé, il va être abandonné au cours du 17ème siècle.
Cette formalisation excessive dans le soin va aussi se retrouver dans les formulations de remèdes. Galien était en faveur de mélanges de plantes à outrance. Des dizaines, voire des centaines ( !) de plantes parfois, et souvent exotiques. Des préparations sur de long mois, voire années de macération… Cela devenait très cher, et pas du tout destiné au peuple, mais plutôt aux gens aisés.
Je vous propose maintenant d’inspirer et d’expirer tranquillement… Voilà !
Faisons ensemble un petit retour en arrière dans le temps pour comprendre qui étaient les premiers « artisans des plantes »…
On trouve des première traces de commerce des plantes médicinales il y 4600 à Sumer. Mais c’est apparemment en Egypte, il y a 3500 ans, que des échanges vont se faire de manière plus larges . Elles vont d’abord concerner le proche orient, le bassin méditerranéen puis s’étendre peu à peu.
C’est en Grèce que l’on voit apparaitre les premiers véritables « fournisseurs », des herboristes qui approvisionnent les plantes aux guérisseurs.
Peu à peu le métier d’apothicaire va se dessiner, on trouve dans les monastères des « apotecarius » qui ont un rôle de médecin et de pharmacien dès le Vème siècle. Sinon, ils sont la plupart du temps ambulants, et ce sont les pharmaciens arabes qui vont mettre en place les premières boutiques à Bagdad au 8ème siècle après JC, et dans l’Espagne musulmane au 11ème siècle.
Ces pharmaciens vont faire émerger de nouvelles et nombreuses préparations pharmaceutiques : décoctions, sirops, poudres…
En Europe les apothicaires vont s’organiser et s’implanter, et on arrive dès le début du 17ème siècle à une grande pagaille… la peste de 1348 et la Syphilis en 1496 vont mettre à mal la médecine en Europe. Cette médecine qui dansait déjà depuis le 12ème siècle entre l’Ecole de Salerne en Italie avec son approche Hippocratique, et l’influence des civilisations Arabes au travers des écrits d’Avicenne, qui a récupéré et poursuivi le travail de Galien. C’est cette dernière approche qui aura le plus d’influence sur l’enseignement médical en Europe.
Il y donc de gros débats sur la façon de soigner, entre ces différents courants de médecins.
Donc reprenons, on se retrouve dans les années 1600 avec d’un coté l’école galéniste (pensée de Galien) qui utilise des remèdes et des plantes codifiées au travers de mélanges complexes qui font la richesse des apothicaires et d’un autre coté, nous avons les prémisses de la chimie avec des médecins qui commencent à utiliser des substances isolées et chimiques comme les métaux lourds.
Souvent on entendra parler d’un débat « médecine chimique contre médecine galénique » ou bien on opposera la pensé de Galien à celle de Paracelse.
Soit une pratique vieillissante et amorphe face à une pratique moderne et toxique…
Et pendant ce temps, le peuple continue à faire ce que le peuple a toujours fait : utiliser les plantes simples et locales pour soigner les troubles du quotidien et éviter de devoir consulter un médecin ce qui était un luxe à l’époque.
Dans cette pagaille il me parait important de préciser qu’a cette époque on va mettre Paracelse, grand médecin réformateur, du coté des chimistes. Paracelse était effectivement pour l’utilisation des métaux lourds mais d’une manière très ciblée et à faible dose.
Et ce qu’il faut aussi retenir de ce médecin brillant et singulier c’est son coté dissident, rebelle.
Paracelse était un grand défenseur des plantes médicinales locales. Il était contre l’importation des plantes qui venaient de pays exotiques. Il avait beaucoup de respect pour les remèdes du peuple. Il a aussi dénoncé les conflits d’intérêts dans le monde de la santé :
« La responsabilité du médecin, c’est de soigner les malades, et pas d’enrichir les apothicaires » – Paracelse.
Aussi, il croyait dans l’efficacité du composant actif de la plante. La force d’une plante médicinale serait issue principalement de l’un de ses composants chimiques.
Avec notre recul on sait aujourd’hui que la plante fonctionne d’un point de vue thérapeutique grâce à une synergie de constituants, à un ensemble de substances.
Mais la phytothérapie médicale prendra une autre voie et décidera de considérer la plante comme une substance active. Des produits standardisés vont être fabriqués dans des laboratoires. La chimie va dominer le paysage. C’est une vue beaucoup trop limitante.
Nous voilà à la fin des années 1600, les plantes médicinales sont en perte de vitesse, on commence à évoluer, du moins dans les facultés de médecine, vers un modèle dans lequel on veut utiliser le constituant pur, la molécule, quelque chose de puissant, qui provoque souvent des effets indésirables, mais qui a le pouvoir de frapper très fort sur une maladie en particulier.
Peu à peu, on va laisser les notions de terrain, de constitution, d’hygiène de vie, de force vitale dans le passé, pour se concentrer sur le court terme, sur le symptomatique et sortir l’artillerie lourde, même si au plus long terme, on doit faire face à de nombreux dommages collatéraux.
Si la tradition chinoise a fait perdurer et enrichi l’approche énergétique des plantes, la rupture a eu lieu en occident.
Le peuple, lui, devinez ? Il est toujours et encore dans sa pratique des bonnes herbes, pratique qui va rester plus ou moins constante, car les « petites gens » n’ont pas les moyens de se payer le grand médecin qui sort de l’université. Il utilise les simples : le pissenlit, l’aigremoine, l’ortie… Heureusement que la médecine du peuple a subsisté, sans les remèdes de « grands-mères » , ou « buona fama » ( de « bonne réputation ») nous n’aurions plus grand-chose dans notre tradition !
Le peuple a toujours su se tourner vers le savoir simple et empirique, basé sur l’utilisation des sens et de l’histoire orale.
Voilà on peut s’arrêter là pour le coté historique… et si vous voulez en savoir plus, je vous incite à suivre la série de Christophe Bernard que je mets en lien à la fin de l’article.
J’ai la conviction que nous sommes à un tournant dans l’histoire du soin en général, de notre rapport à la nature et aux végétaux, aux plantes médicinales. Cette évolution fait parti du changement de paradigme en cours, dans tous les domaines, socio-économiques, scientifiques, philosophiques et même artistiques.
Après un nihilisme exacerbé, on voit bien dans le monde du soin ce retour vers la simplicité, vers l’écoute des cycles de la nature, le respect des forces naturelles. On se rend compte que certains grands principes doivent être respectés. Ainsi, l’art des plantes n’est qu’une simple écoute. Être attentif aux éléments, aux mouvements de la nature, c’est la prise de conscience d’un Tout dans lequel nous interagissons, tout comme les plantes.
Et bien…que pouvons-nous retenir de cette virée dans le passé, et du rapport de l’homme avec les plantes médicinales ? Donc… en quoi est-ce un art ?
On a vu comment les herboristes, les apothicaires ont su préparer de nouveaux remèdes, adaptés à certaines situations ou pour améliorer l’efficacité de la plante.
On sait aussi dans de nombreuses traditions, l’importance du respect du cycle de la plante, du moment où on la cueille, de son séchage, sa conservation, et de son éventuelle transformation… tout ceci relève du savoir-faire, de l’art d’être à l’écoute et connecté à soi et à son environnement.
C’est d’ailleurs ce qui m’a poussé à me former aux « plantes de chez nous ».
Vibration du lieu, génétique, lien énergétique… peut importe. Il s’agit d’art ou simplement de bon sens : on a tout sous la main… des plantes médicinales qui poussent, une tradition occidentale forte écrite et orale. Lorsque c’est possible, autant ramasser les plantes du coin, de la région… On aura plus de « feeling » avec elles et de contrôle sur la qualité. On sait d’où elle vient, quand elle a été ramassée, comment elle a été séchée.
C’est plus compliqué lorsqu’une plante vient de l’autre bout de la planète, qui a été souvent peu respectée, ballotée, transformée…
De plus, les conditions de cueillette, le respect du biotope et de la plante elle-même font véritablement partie de l’art à mon sens. Consommer une plante « à la mode », une plante « miracle », c’est souvent jouer le jeu de groupes qui n’ont pas de scrupules à faire cueillir les plantes jusqu’à épuisement des ressources.
Enfin, cet art, c’est aussi parfois de se dire qu’une plante qui a une tradition séculaire voire millénaire, et qui vient d’extrême orient par exemple, peut ne pas avoir d’équivalent dans nos régions pour une problématique de santé bien précise. Alors, on pourra dans de rares cas faire appel à ce type de plantes.
Je n’ai pas abordé les traditions animistes, d’Afrique, d’Amérique du sud, de Sibérie, Mongolie etc. Il y a un regain d’intérêt des occidentaux vers ces pratiques.
Intérêt de personnes qui cherchent souvent le « voyage spirituel ». Un voyage intérieur, ou simplement guérir de leurs maux. Par exemple, l’ayahuasca au Pérou, ou l’Iboga au Gabon sont très courtisés… par des personnes en attente d’une expérience ou par des laboratoires…
Il faut être très attentif et comprendre que certaines plantes peuvent être toxiques, hallucinogènes, et dangereuses. C’est en ça que l’art de les manier, de générations en générations prend tout son sens. Ici l’artisan ce sera le shaman, le guérisseur qui seront les accompagnateurs, les guides indispensables.
Je me dis en écrivant ces lignes sur l’art des plantes que la tâche n’est pas facile. Oui, cette relation homme/plantes ne peut se résumer dans un simple texte, ni même un seul ouvrage. L’histoire est une accumulation de temps, le temps est une accumulation d’expériences, de mémoire, le tout incroyablement dense et intriqué. De multiples interactions ont fait émerger des histoires, des échecs, des réussites, de multiples chemins, et des courants de pensées.
Si certains hommes ont été opportunistes, voire malveillants, la plus grande partie ont été les artisans bienveillants de la construction de cette histoire, et ont enrichi le terreau, fait émerger cette matière médicale. Ne jamais oublier, à la base, il s’agit de survie, quel que soit l’expérience, le guérisseur veut rendre la personne « plus forte », entretenir sa vitalité.
J’ai parlé d’artisan, mais parle-t-on d’art ? Un rapport avec un artiste ? Artisan ou artiste ont une étymologie proche avec ars ou artis en latin, soit Art. Et les deux termes désignent à l’origine des « hommes de métiers ». Celui qui sait faire. J’aime l’artisanat, celui qui touche à la matière, avec une intention, pas forcément un but, mais plutôt une direction, avec une idée de rendre utile, sur le court et/ou sur le long terme.
Être un « homme de métier » ce n’est pas forcément avoir suivi au préalable un cursus universitaire ou une « école ». La vie, l’expérience sont des écoles. Et si l’expérience fait l’homme, le contraire est aussi vrai…
Donc…utiliser une plante, si cela est fait en conscience…alors oui, c’est bien un art. Une façon de faire qui peut mêler approche simple et intuitive, basée sur le sensitif et l’observation et approche plus analytique… Il faut je crois, tenir compte des qualités énergétiques d’une plante, des mouvements qu’elle induit, et de ses propriétés bien définies et identifiées. Il est question d’équilibre.
En conclusion, le fil conducteur pour une noble pratique des plantes médicinales serait peut-être de rester pragmatique et accessible à tous, tout en respectant la matière, la nature et donc l’homme, qui est partie intégrante de celle-ci.
Un immense merci à Christophe Bernard d’Althéa Provence dont j’ai été l’élève en Herbalisme.
Je me suis inspiré en partie de son excellente série sur l’histoire des plantes, et avec sa permission, j’ai repris quelques passages de ses écrits.
https://www.altheaprovence.com/approfondir-vos-connaissances/#histoire
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L’art des plantes
Mon approche dans le conseil en phytothérapie, c’est de ne pas oublier le « sensible ».
Energétique chinoise
La Médecine traditionnelle chinoise s’écrit Zhong Yi, ce qui signifie Médecine du (pays du) milieu.